Le vent souffle... laissez-vous emporter

J’ai grandi en Provence, au pied de la montagne de Lure, le Mont Parnasse gionien ; le poète aimait dire que personne n’avait mieux décrit cette terre que Shakespeare. Cela convenait à une petite fille aux yeux verts portant un nom de fée.

Sur le plateau, elle rendait régulièrement visite à deux très vieux chênes qui méritaient son adoration : en balançant lourdement leurs branches et en agitant leurs feuilles, ils faisaient le vent, ce grand vent qu’on appelle « fléau de la Provence » mais qu’elle aimait, elle ; ces arbres étaient des faiseurs de Mistral, des Titans. Elle laissait tomber son vélo et s’asseyait entre les solides racines, en short, les genoux tout égratignés, autour de son cou palpitait un pendentif mystérieux de saphir et d’argent. Et elle regardait les grandes ramures façonner le vent. Et elle écoutait la voix, le feulement, la rumeur profonde.

Je ne sais plus si on a ri, si on s’est moqué, ou si on lui a expliqué gentiment que non, les arbres ne font pas le vent ma chérie, que c’est le vent au contraire qui secoue les arbres. Je me rappelle seulement être passée d’un monde fabuleux à un monde désenchanté – privé de chant : il n’y avait plus de faiseurs de vent. Le lien qui s’était naturellement tissé entre une petite fille au nom de fée et les grands chênes, entre une fadette des champs et les bêtes, les bois, les sources avait été brutalement rompu. Le fil de Mab était coupé. Il fallut tout reprendre et tout raccommoder. Les chevaux m’ont montré comment faire. En quelque sorte, ce sont eux qui m’ont appris à ravauder.

Et puis il fallu raconter.

 

"Je vais acheter un cheval et m'en aller..."

Je suis une éleveuse. Un cheval, je sais seulement un peu comment ça né, comment ça meurt, et que « C’est toujours cette Mab Qui tresse la crinière des chevaux la nuit Et dans leurs poils gluants fabrique des nœuds magiques Qui débrouillés font arriver de grands malheurs. » – gardez-vous de démêler les fils qui unissent les chevaux aux fées. En revanche, je sais que les chevaux ont beaucoup d’histoires à raconter : des histoires outrhumaines, mais des histoires qui rabibochent et retissent le lien, lesquelles histoires – à la manière des contes et des rêves – parlent à l’âme, et ensuite vous n’êtes plus jamais le même. Les histoires sont magiques. Et les chevaux qui parlent sont dangereux.

Pour traduire ces histoires, j’ai donc dû filer des mots avec d’autres mots et j’en ai fait ces toiles, noires, blanches ou chatoyantes, en velours, écailles ou bien ailes de libellule, simples, ornées ou encore inachevées : la Folle-Fée et la Sage-Femme, la Grande Dame et la Maitresse des Bêtes, la Sorcière et la Souveraine, l’Épouse et l’Amante, la Mère et la Sœur, la Muse et l’Ensorceleuse, la Cavalière et la Monture, la Reine des Sorts et des Métamorphoses -, puis je les ai cousues les unes aux autres pour faire une seule et grande voile chamarrée : et c’est MAB qui est apparue. Je l’avais retrouvée.

Cette grande voile, il est temps désormais de la hisser pour qu’elle attrape le vent, le grand vent des arbres. Parce que c’était bien vrai, ils sont les faiseurs et les façonneurs du souffle.